Sculptures

Les commandes de sculptures

Dès les victoires de 1805, la communauté des sculpteurs sera complétement absorbée par les commandes pour les palais et les monuments nationaux. Peu de sujet originaux apparaissent dans les salons hormis ceux de Canova (La madeleine pénitente, Hébé versant le nectar à Jupiter, et Amour et Psyché). 

Ces commandes étant passées par Denon, il s’implique très fortement dans leur définition et leur style, en s’appuyant sur des dessins préparatoires exécutés sous ses instructions par d’autres artistes que les sculpteurs. Il ira jusqu’à faire graver l’inscription Denon direxit sur la colonne de la Grande Armée et sur quelques autres œuvres. Immensité des palais (Tuileries, Versailles, Fontainebleau..) nécessitent une production importante de statues et bustes de l’Empereur, des dignitaires militaires et civils. Celui-ci est très sensible à la ressemblance physique, ce qui impose la prise d’un masque mortuaire le plus tôt après le décès des généraux disparus au combat comme Desaix par exemple. Denon le répercute dans ses instructions écrites.

Comme pour les tableaux, il suit personnellement l’avancement et l’exécution artistique des sculptures dans les ateliers, mais l’interaction avec les artistes, essentiellement verbale, échappe à l’historien. Seul des rappels à l’ordre dans la correspondance en restent le témoin.

Sculptures de la colonne de la Grande Armée

La colonne de la Grande Armée et le décor sculpté de l'arc de triomphe du Carrousel furent exécutés entièrement sous sa direction ; il l'annonce fièrement dans l'inscription apposée sur le chapiteau de la colonne.

Il choisit chaque fois un dessinateur comme adjoint : Bergeret pour la colonne et Meynier pour l'arc du Carrousel. Le dessinateur; chargé de mettre en scène les victoires de la Grande Armée et de son héros, travaille certainement sous contrôle : Denon a suivi l'Empereur dans ses campagnes en expert passionné chargé de sélectionner les œuvres dignes du musée Napoléon. C'est tout le film de la campagne d'Autriche qui se déroule sous nos yeux. La "bande sculptée" commence le 25 août 1805 dans le port de Boulogne d'où quatre corps d'armée vont marcher sur le Rhin à partir du 31 aoùt ; elle s'achève avec la ratification du traité de Presbourg, le retour des armées impériales, et la rentrée dans Paris de l'Empereur le 27 janvier 1806, accompagné des " trophées de la campagne''.

Denon devient là un des chefs de la "communication" de l'Empereur : les différents corps d'armée sont clairement identifiés, chacun avec son uniforme détaillé au moindre bouton de guêtre, l'Empereur apparaît à intervalles réguliers, à la tête de son armée, ou bien acclamé par ses soldats comme par les populations locales; la topographie des lieux est évoquée avec précision, tel ce pont de bateaux qui permit à l'armée de franchir le Rhin à Kehl; l’hagiographie s'étend sur les acteurs associés, Berthier, Ney et surtout Murat. Ce sont, figés dans le bronze, tous les épisodes relatés au jour le jour dans le très officiel Journal de l'Empire. Communication, diffusion ; Denon connaît l’importance de ces deux notions: la colonne de la Grande Armée sera gravée sous les ordres du directeur qui a demandé un crédit très important pour cette opération confiée au graveur Baltard. Mais l'importance politique de la colonne la rend fragile aux renversements d'alliances, d'où les remontrances de l'Empereur sur le nom donné dans la presse à ce monument dès 1808, «Austerlitz » apparaît autant une victoire des armées impériales qu'une défaite d'une future maison alliée. C'est très certainement ce qui explique l'accueil froid et critique de l'Empereur au volume des gravures de la colonne.

Extraits de l'article de Isabelle Leroy-Jay Lemaistre dans L'oeil de Napoleon p 356-357

Sculptures des bas-reliefs de l'Arc du Carrousel

Le choix des épisodes présentés sur l'arc du Carrousel marque bien la volonté de glorification associée à l'idée de paix : aucune scène de bataille mais toujours les épisodes pacifiques qui les concluent. Même la grande victoire d'Austerlitz est évoquée par l'entrevue postérieure aux combats. Du point de vue visuel, l'ensemble des scènes met là encore l'accent plutôt sur le calme des traités que sur l'agitation des engagements militaires. Les événements, soigneusement choisis, sont précisément mis en scène avec soin, comme l'analyse très finement Régis Michel pour L'Entrée dans Munich confiée au ciseau de Clodion : le sculpteur, resté très fidèle au dessin de Meynier, installe l'Empereur et le futur roi de Bavière entre les canons d'une armée disciplinée et l'agitation spontanée d'un plébiscite populaire. Il reste à Clodion à supprimer quelques détails trop graphiques, quelques personnages redondants.

Les sculpteurs devront travailler vite et suivre de très près les dessins de mise en scène exécutés par Bergeret et Meynier. Pour ceux qui ne remplissent pas le contrat, comme Bartolini qui n'a rien fait du travail qui lui avait été confié pour la colonne, Denon se voit obligé d’ "envoyer prendre les neuf châssis qui sont déposés dans [son] atelier". Menace qui ne sera, semble-t-il, pas exécutée, les amis de Bartolini terminant rapidement le travail en retard. De très nombreux sculpteurs participent à ce long bas-relief, des jeunes artistes comme Bosio, mais aussi de vieux sculpteurs attachés à l'Ancien Régime comme Clodion.

Sur la colonne de la Grande Armée, sur des médailles, notamment celle frappée en l'honneur de la première pierre de l'arc du Carrousel, sans l'avis de Fontaine,  Denon fit donc fièrement apposer sa signature, Denon direxit, mais aussi sur quelques œuvres isolées où elle apparaît auprès de celle du sculpteur et parfois d'un fondeur, d'un ciseleur ou d'un architecte. Denon précise ainsi clairement le rôle de concepteur qu'il s'attribue.

Extraits de l'article de Isabelle Leroy-Jay Lemaistre dans L'oeil de Napoleon p 357