L'homme de salon
Témoignage d'Albert de la Fizelière
Extrait de la notice biographique d'Albert de la Fizelière
Mme Albrizzi (Bettina) a dit de lui ce mot caractéristique :
« Exemple peut-être unique au monde, Denon sut toujours plaire à tous les hommes qu'il rencontra, quoiqu'il fût généralement chéri des femmes. »
Cette société charmante dans laquelle vivait Denon, offrait d'ailleurs tous les attraits du plaisir et de l'indépendance : on se plaisait, on se cherchait, et quand on s'était réuni on se quittait pour aller ailleurs avec le désir déjà naissant de se retrouver bientôt. Tout y était permis, parce que personne n'y abusait de rien et les relations les plus familières pouvaient se nouer entre les hommes et les femmes, sans qu'il vînt à l'idée de personne, comme en France ou tout devient matière à médisance, que cette intimité pût avoir des mystères inavouables.
Lady Morgan est plus enthousiaste encore, et cela s'explique surtout par sa qualité d'étrangère qui lui faisait trouver plus surprenant encore ce caractère contrastant si complètement avec celui des hommes les plus distingués de son pays.
Elle dit de lui : « La maison de M. Denon est un de ces reposoirs classiques où le goût et le talent des nations étrangères aiment à s'arrêter. C'est la chapelle de Lorette des arts, et le grand prêtre y est souvent au-dessus des divinités aux autels desquelles il préside.
« Si la France voulait envoyer dans les pays voisins quelques échantillons avantageux de son caractère national, elle pourrait prendre Denon pour un de ses représentants.
« Jamais on ne vit un plus bel exemple de gaieté et de sensibilité réunies ; jamais ces qualités ne surent mieux s'élever au-dessus du choc du temps et des circonstances. Oh! où peut-on chercher ailleurs cet heureux charme qui sait faire ainsi réfléchir sur le soir de la vie, les brillants rayons de son matin, qui entretient la chaleur naturelle du cœur, à travers les lustres des ans qui s'écoulent, qui nourrit jusqu'au dernier moment la lampe de l'esprit et qui ne peut s'éteindre que par l'effet du pouvoir qui anéantit à la fois le corps périssable et la flamme céleste qui l'anime.
« Des bagatelles légères comme l'air prennent dans la bouche de Denon un intérêt puissant. Je conserve dans toute sa fraîcheur le souvenir des matinées et des soirées que j'ai passées au coin de son feu, dans cette causerie que les Français seuls savent soutenir sans fadeur ni satiété. »
Au moment même où on imprimait le passage des Mémoires de Mme de Genlis où elle a consacré un souvenir touchant des vertus et des talents de Denon, on répandit le bruit de sa mort.