Le collectionneur

Il est un endroit très original et très couru à Paris dans le premier quart du XIXème siècle, le dernier lieu de vie de Vivant Denon (5, quai Voltaire).
En effet, l’appartement de six pièces est entièrement occupé par des œuvres d’art, y compris le palier et la terrasse. Cette abondance éclectique d’objets ne répond à aucun ordre chronologique ou géographique, évoquant ainsi un cabinet de curiosités.
On y trouve des statues en bronze, des bustes en plâtre, des tableaux fort disparates (Poussin, Rigaud, Véronèse, Le Nain, David, Watteau, Rubens, Le Caravage…), des bas-reliefs, des vases, des porcelaines et laques chinoises, 500 amulettes et scarabées, des objets orientaux, des instruments de musiques mais aussi des girouettes (également collectionnées par Chateaubriand et Talleyrand), des momies, un fœtus, un bras humain…
Il est intéressant de noter qu’il est représenté au moins une fois dans chacune des pièces et ce, malgré sa « laideur » décrite par Elisabeth Vigée-Lebrun. Cela ne l’a pas empêché d’être un grand séducteur sentimental comme en témoigne le portrait d’Isabelle Albrizzi de la même peintre.
Ce lieu était ouvert au public (choisi parmi ses visiteurs) et il faisait lui-même la visite en l’agrémentant d’une foule d’anecdotes sur chaque œuvre. Ses visiteurs, souvent anglais (Lady Morgan), retranscrivaient ses paroles où il prenait des libertés avec la réalité, qui ont contribué à sa légende. Les témoignages de son urbanité abondent, ne semblant n’affecter aucune rancœur sur l’abandon de sa charge au Louvre. Goethe et Alexander von Humboldt ont apprécié ces visites tout en moquant le fouillis de sa collection..
Denon, plus curieux qu’homme de goût, vouait un véritable culte à l’Art. il était animé d’une passion pédagogique qu’il avait déjà manifestée au Louvre. Avant-gardiste, bouleversant la tradition, il estime qu’une œuvre d’Art est surtout un témoignage d’une civilisation, d’un savoir-faire, indépendamment de toute considération esthétique et que l’art nait de l’industrie sauvage : on passe d’un objet de première nécessité à un objet esthétique. Il n’a pas rédigé d’ouvrage théorique, mais il avait l’ambition de composer un ouvrage sur l’histoire générale des Arts dans toutes les civilisations, dont sa collection serait un aperçu et qui fournirait des modèles aux artistes. Sa disparition l’empêchera de concrétiser ce projet et Amaury-Duval, son ami le fera à titre posthume.
Cette impressionnante collection ne doit pas cacher les moyens parfois contestables qu’il utilise pour la constituer. Cette accumulation d’une vie est le fruit d’achats, de spéculations, d’échanges, mais aussi de rapines sur tous les sites qu’il a visités. Les soldats de Napoléon l’avaient surnommé « huissier-priseur ». Le caractère fétichiste de ce comportement de collectionneur a été découvert par ses héritiers lors de la dispersion de sa collection après sa mort, avec cet étrange reliquaire dont le contenant surprenant est décrit dans un article spécifique (voir "!a collection de Denon").