Les femmes
Vivant Denon est réputé pour son aisance et sa conversation en société, malgré un physique que beaucoup de femmes jugent ingrat. Cela ne l’empêchera pas de rencontrer toute sa vie des succès secrets ou publics auprès des dames de la société qu’il fréquente dans tous les pays.
Il ne se mariera jamais, certainement trop occupé par son activité bouillonnante et son envie insatiable de voyages. Parmi toutes ses conquêtes, une ressort sans conteste : Isabella Teotochi (1760-1836), qu’il rencontre à Venise en 1788. Elle semble avoir été l’épouse qu’il n’aura jamais. Elle tient un salon littéraire où toutes les personnes qui comptent dans la diplomatie, le personnel politique et les gens de lettres de l’Europe entière se retrouvent. Byron la comparera à Madame de Staël. Cette très belle femme mariée tombera sous son charme et deviendra sa maîtresse, bien que leurs relations soient très épisodiques à cause des voyages incessants de Denon. On connait de nombreux détails de cette relation par l’ensemble des lettres qu’il lui écrit, publiées en 1998 et qui couvrent la période de 1788 à 1825, date de la disparition de Denon.
Elle est connue par le tableau que fit d’elle Elisabeth Vigée- Lebrun à Venise en 1792 et dont Denon fit plusieurs dessins et gravures.
Il semble qu’ils aient eu des relations commerciales (prêts, ventes de tableaux et gravures, commerce du vin des vignes de Denon) et littéraires par des conseils qu’il lui prodigua sur des ouvrages qu’elle composa sur Canova et les portraits des visiteurs de son salon.
Après une longue éclipse dans leurs rencontres liées à la campagne d’Egypte, puis au début du Consulat et de l’Empire, les deux dernières rencontres auront lieu à Terraglio, à Vérone et Mantoue en 1805, puis à Paris en 1817.
Deux autres maîtresses sont connues : Mme de Kreny sous le Directoire et le Consulat, et Mme d’Houchin à la fin de l’empire.
Isabella Teotochi
Ce texte est un résumé de la fiche Wikipedia en italien réalisé par Mme Hélène GODICHON
Corfou 16 juin 1760 - Venise 27 septembre 1836
Isabella TEOTOCHI ALBRIZZI née Elisabeth Teotochi d’origine grecque, fut une femme de lettres, une biographe et une essayiste italienne de la République de Venise, amoureuse des arts et animatrice d’un célèbre salon littéraire.
- Enfance
Lorsqu’elle naquit en 1760 Corfou était alors possession de la Sérénissime République de Venise. Elle était grecque de langue maternelle et elle reçut des notions de littérature italienne et française.
Elle fut affectueusement surnommée Titta.
- Mariage
À l’âge de 16 ans en 1776 selon la volonté de ses parents elle épousa Carlo Antonio Marin dont elle aura l’année suivante un fils Giovan Battista Matin. Selon les biographes cette union fut décrite comme malheureuse et destinée à se conclure de manière tempétueuse quelques années plus tard.
En 1778 une nouvelle fonction imposa à Marin de rentrer à Venise, ville qui, bien qu’écrasée par la décadence politique et économique, bouillonnait de débats culturels et scientifiques. Le couple s’établit dans la maison de San Benedetto où habitaient, outre le père et les oncles et tantes, également les frères de Carlo Antonio. La très jeune épouse grecque à la chevelure dense et bouclée, aux yeux d’une grande vivacité et au visage reflétant une candeur d’âme, connut d’inévitables difficultés d’intégration.
Après un séjour de deux ans de 1778 à 1780, à Salò, où Carlo Antonio avait été promu Inspecteur, les époux Marin regagnèrent Venise. La perspective d’habiter à nouveau au milieu de cette innombrable famille Marin fut inenvisageable. Aussi Bettina convainquit-elle son époux de louer une maison dans la Calle de la Ballotte. Commença ainsi une nouvelle phase de la vie de la jeune femme.
- Naissance du salon
Un siècle et demi après la naissance du premier salon connu, celui de l’Hôtel de Rambouillet en 1607, dirigé par la Marquise de Rambouillet, la mode du salon était désormais diffusée dans la lagune. En accord avec les idées nouvelles et révolutionnaires qui atteignaient également la société vénitienne on attribua une grande signification aux capacités intellectuelles de la personne, reconnues comme un fort élément égalitaire. Ainsi donc on reconnaissait à la femme, dans la mesure où elle démontrait être cultivée un rôle intellectuel paritaire.
Comme son mari avait acquis des charges de plus en plus importantes Elizabeth eu la possibilité d’affiner sa propre culture éperonnée par son mari et grâce à l’environnement qui s’était créé autour de lui.
Un groupe choisi, composé de quelques habitués et d’invités occasionnels se retrouvait une fois par semaine dans la petite salle de compagnie de la Calle delle Ballotte et bien vite, de silencieuse la dame devint protagoniste en vertu d’une attrayante malignité, ainsi décrite par Denon dans ses documents personnels.
Au cours des années qui suivirent parmi les personnes fréquentant son salon, Élisabeth Teotochi accueillit des figures illustres parmi lesquels : Ugo Foscolo, Ippolito Pindemonte, Vincenzo Monti, Aurelio de' Giorgi Bertola, abbé de Rimini, auteur d’œuvres lyriques, Melchiorre Cesarotti, auteur de la traduction de l’ Ossian, Anton Maria Lamberti, célèbre pour ses vers en dialecte vénitien, l’abbé Francesco Franceschinis, recteur de l’Université de Padoue, la salonnière vénitienne Giustina Renier Michiel, Antonio Canova, le célèbre théoricien de l’art Leopoldo Cicognara, les nobles Lauro e Angelo Querini, ce dernier sénateur de la Sérénissime, adepte des idées réformatrices de Scipione Maffei et propriétaire d’une splendide villa à Altichiero, où il recueillit une grande quantité de vestiges archéologiques égyptiens, le patricien padouan Costantino Zacco, les nobles Pesaro, Mocenigo, Dolfin, Tron, Stefano Arteaga, critique et auteur de La Rivoluzione del teatro musicale italiano, (La Révolution du théâtre musical italien), l’historien et philologue Andrea Mustoxidi, Jean-Baptiste-Gaspard d'Ansse de Villoison, le philologue français qui à cette époque étudiait des documents conservés dans la Biblioteca Marciana, Dominique Vivant Denon, graveur et écrivain parisien futur directeur du Louvre, la célèbre Madame de Staël, Aubin-Louis Millin, Johann Wolfgang von Goethe, George Gordon Byron, Walter Scott, l’Ecossais Sir William Hamilton archéologue et vulcanologue, ambassadeur anglais à Naples, le voyageur Michele Sorgo et tant d’autres encore.
Il semblerait toutefois que Carlo Antonio n’approuvât pas beaucoup ces assemblées mondaines. Il exprima son dédain dans une lettre rédigée à l’adresse de son épouse, presque un traité de conversation dans laquelle il critiquait les personnes qui fréquentaient sa propre maison. Cette lettre fut rédigée de sa demeure de Gardigiano, en février 1786.
Élisabeth quant à elle, dédaignait ce domaine de Gardigiano, en vérité une habitation rustique de la campagne vénitienne et préférait passer beaucoup de temps à Venise, affinant ses propres vertus, soignant sa beauté, élargissant sa culture littéraire et appréhendant l’art d’atteindre la faiblesse des personnes et celui de les flatter.
- Caractère et philosophie de vie
Durant cette période, selon l’habitude pour une dame de sa position, Élisabeth disposa d’une petite habitation au Ponte dei Bareteri, à quelques pas de la Calle delle Balotte. Telle est la destination qui apparaissait sur les lettres qui lui étaient adressées du moins à partir de 1785. Là dans un salon qui était son entière propriété, elle pouvait se revêtir du rôle très important de la Salonnière : mettre en valeur les personnalités qui l’entouraient ainsi que leurs idées, et donner à chacune la sensation de se sentir un personnage important. Elle obtenait un large succès car elle savait unir aux grâces de l’intellectuelle celles de sa personne et ainsi attirait autour d’elle les meilleurs esprits de l’époque ayant aussi des liens étroits avec de secrètes relations mondaines.
Elle possédait l’intrigante capacité de parler à travers de fines allusions, dosées pour celui qui avait le pouvoir de les saisir, et en même temps dépourvues de consistance polémique pour celui qui, en revanche, n’était pas en mesure de les apprécier. C’est ce que révélait Stefano Arteaga en écrivant « d’une délicatesse aigüe et futée ».
Pour mener une conversation dans un salon il était également nécessaire d’avoir des connaissances générales et ponctuelles d’histoire, de sciences, d’art, de médecine et d’être capable d’offrir à chacun la réponse appropriée.
Être au centre de l’attention, de manière discrète, en vraie maîtresse de maison, en proposant chaque fois le thème de la discussion et en l’animant avec élégance et supériorité imposait à la dame de dominer son tempérament « passionnel et masculin ».
Toutefois Élisabeth vivait toujours, dans le même temps, ses belles passions et saisissait pleinement les joies de la vie selon certaines convictions que nous trouvons énoncées dans ses lettres.
Lors d’une période durant laquelle la lagune s’était retirée et avait transformé les canaux en chemins couverts de limons, et avait troublé les habitudes galantes des deux amants, elle écrivit à Vivant Denon, son sigisbée de 1788 à 1793 :
« Si vous craignez la boue, mon cher ami, vous ne sortirez plus de chez vous (…), en ce pays qui est plus fait pour des poissons que pour des hommes, il est nécessaire que ceux qui l’ont usurpé s’habituent à la manière de se déplacer des premiers habitants, c’est-à-dire en se salissant dans l’eau et la boue.
Voilà trois malheureux jours qu’on ne vous voit aucune part et tout cela parce qu’il y a de la boue et parce que votre gondole ne peut se détacher de chez vous.
Allons, allons, abandonnez votre paresse et sortez.
Je vous attends ce soir chez Madame N., où je vous répéterai que je vous aime de tout mon cœur. »
- Habitudes littéraires
Insolente, résistant à tout ce qui lui était imposé, au début de sa longue carrière de salonnière, la comtesse se montra très peu encline à céder aux opinions des autres. Même dans le choix des études et des lectures, plus que par une rigoureuse discipline, Bettina semblait guidée par son propre instinct et par son propre goût.
Attentive à l’influence de la littérature française elle adopta dans sa correspondance la langue transalpine, justifiant son choix de manière originale :
« La langue italienne exige un certain cérémonial qui n'est pas du tout propre à l'amitié, tandis que le français vous en dispense tout à fait. Cette raison que j'ai toujours crue bonne, quand j'ai écrit à mes amis, je la trouve d'autant plus excellente en vous écrivant que c'est précisément avec vous que je serais le plus embarrassé à soutenir la majesté de la langue italienne »
Meneghelli décrivit dans sa biographie les habitudes d’Elisabeth :
« Durant la matinée, excepté pour des cas exceptionnels, elle vivait entièrement pour elle-même, elle s’occupait de littérature étrangère et nationale, en fonction du thème qui avait été choisi … »
- Premiers essais littéraires et artistiques
« Lettrée au contact des lettrés » Isabelle fit preuve de régulières tentatives d’écriture poétique que, parfois elle montrait à ses hôtes comme pour perpétuer la mode arcadienne qui, en dépit des suggestions préromantiques était très forte chez elle. Elle suscitait ainsi la préoccupation d’Hippolyte Pindemonte attentif au sort de la jeune femme.
« Elle m’écrit avoir composé un sonnet, et puis d’avoir fait pire encore puisqu’elle l’a montré à de nombreuses personnes »
Dans ses lettres comme dans ses vers elle était souvent influencée par son destinataire, tantôt Pindemonte tantôt Bertola .
Isabella à cette période passa beaucoup de temps à lire et à réaliser les premières ébauches de ces fameux Ritratti (Portraits), grâce à sa culture et aux conversations du salon qui la rendirent experte dans l’art de connaître l’âme des hommes.
- Éloignement de Denon et départ de Marin
Alors que la splendeur et le faste cachaient déjà les premiers germes de la décadence, et la peur des mouvements français durcissait également les habitudes mondaines de la lagune, Isabella se trouvait au sommet de la célébrité; Marco Aurelio Soranzo fera en 1791 un Ritratto d’Isabella (Portrait d’Isabelle) alors que l’année suivante sera publiée selon la volonté du comte Zacco une anthologie en honneur de la dame, L’Originale e il ritratto (L’Original et le portrait), avec des textes de Denon, Bertola , Giovanni et Hippolite Pindemonte…
Un avis adressé à Vivant Denon, soupçonné d’espionnage troubla la vie d’Isabella au point de la faire sensiblement maigrir ; on y lit :
« 1793, 12 juillet, que Denon soit expulsé d’ici trois jours ! ».
On l’accusait d’avoir facilité des rencontres entre l’abbé Zannini ancien précepteur d’Isabelle et d'Hénin ex-directeur du Département des Affaires Étrangères français et futur ministre de France à Venise durant la période révolutionnaire, afin de créer un club jacobin dans les salons d’Isabella, d’organiser des trafics de vin et d’en avoir tiré des profits.
Le graveur partira définitivement de Venise le 15 juillet 1793, mais la relation épistolaire entre les deux amants continuera longtemps.
Pour Isabella un long éloignement de Venise fut par ailleurs envisagé : Carlo Antonio avait en effet obtenu la haute charge d'Inspecteur dans les îles de Céphalonie et d’Ithaque. Elle opposa un net refus à cette éventualité, refus motivé, soutint-elle, par la nécessité de rester à Venise pour suivre son fils dans ses études.
Mais Marin lors des premiers jours de septembre, après avoir retiré Giovan Battista Marin du Séminaire épiscopal de Trévise, décida d’emmener son fils avec lui pour un long voyage de Venise à Otrante où ils embarqueraient pour la Grèce. Après avoir parcouru la péninsule et s’être arrêtés dans les principales villes, Carlo Antonio arriva à Céphalonie.
Isabella écrivit à son père Antonio en lui demandant de la rejoindre à Venise, espérant ainsi faire taire les mauvaises langues. Il arrivera fin octobre.
- Annulation de son mariage
En avril 1794 Isabelle décida de dissoudre définitivement les liens avec son mari. En mai elle présenta à l'archevèque de Corfou un document qui annonçait sa requête, et la date de juillet fut fixée pour l’instance d’annulation.
Au printemps 1795 la charge d’Inspecteur de Carlo Antonio Marin arriva à son terme et retourné à Venise il put défendre avec force ses propres droits. La tension monta à ce moment-là entre les époux, alors que Marin continuait à espérer et à adresser des cadeaux à son épouse.
Le 6 juillet la réponse positive d’annulation arriva de Belluno.
Isabella décida d’abandonner son habitation de Calle delle Ballotte et de s’installer dans celle de son salon. Ce fut à cette période qu’Isabella tomba amoureuse d’un jeune homme de dix-sept ans Niccolò Ugo Foscolo.
- L’amour initiatique
Ce jeune homme vivait à l’époque dans la pauvreté à Campo delle Gate avec sa mère Diamantina Spathis et sa sœur Rubina . Dans le salon d’Isabella, très vite, était né en lui un fervent sentiment à l’égard de l’experte, fascinante compatriote.
Ce n’était pas un homme facile, bien au contraire « de nature bizarre, triste, sauvage ; mais un regard, un sourire d’Isabella le rendait aimable, doux, facétieux. » Une fois l’annulation obtenue, elle accueillit le jeune homme dans son appartement.
Mais au cours de cette période, ne pouvant compter que sur les maigres rentes de son père, et sur les prêts de ses amis, en particulier ceux de Iseppo Albrizzi, elle se vit contrainte de suspendre ses réunions dans son célèbre salon.
« Malgré notre philosophie je comprends que le maudit article argent nous tourmente. C’est ainsi. Nous pouvons lire Sénéque, et mille autres, quand il n’y pas d’argent, les plis ne peuvent se maintenir horizontaux »
- Remariage
La décision était prise trois mois déjà après la confirmation de l’annulation du mariage quand le 10 octobre 1795, Isabella annonça à Denon, son intention de s’unir au Comte d’Albrizzi. Denon lui répond depuis Paris :
« Chère amie, ce que tu me dis sur le Duc me trouble. J’y avais souvent pensé mais c’était toujours de manière très vague, (…) bien chère amie quand je pense que tu peux être très heureuse grâce à une excellente position, grâce à une importante fortune, grâce à un être bon que tu aimes, que je ne peux remplacer (…) si le Duc n’avait pas davantage de moyens que moi, je te disputerai à lui, j’emploierais tout ce que je peux pour te persuader et également pour te séduire. »
Le mariage fut célébré en secret le 28 mars 1796 et ensuite Albrizzi décida de faire entreprendre à sa douce compagne un voyage.
- Grand tour
« Précédée par sa réputation, accompagnée par de très nombreuses lettres »,
Isabella partit de Venise en avril, avec le précepteur Sebastiano Salimberi et avec son père, pour un classique grand tour.
Elle visita d’abord Bologne, Florence, Pise. Durant son tour, elle écrivit un journal de voyage en s’inspirant de modèles tels, par exemple, ceux de Johann Wolfgang von Goethe qu’elle avait accueilli en 1790. En mai elle arriva à Rome ville qu’elle définira par la suite comme « le plus beau rêve de ma vie ».
Elle multiplia les visites, accompagnée de personnes célèbres tel Pietro Pesaro, Daniele Francesconi, futur bibliothécaire de l’Université de Padoue, le critique théâtral Stefano Arteaga et l’archéologue Ennio Quirino Visconti directeur du Musée Pio-Clementino.
Mais Isabella était cependant tourmentée par d’énormes craintes :
« Donnez-moi des nouvelles des Français, je suis totalement disposée à ne pas rester à Rome s’il y a le moindre doute sur leur avancée jusqu’à nous. Ici c’est la consternation totale, on dit la même chose à Venise, et moi, je suis sans nouvelles, car on m’écrit que vous, vous me les transmettez »
- Crépuscule de la Sérénissime : la vie dans la villa et le salon
Le 1er juin 1796 les troupes françaises entrèrent à Vérone: pour la première fois après quatre siècles de tranquillité une armée étrangère troublait les campagnes de la Sérénissime République de Saint-Marc.
Isabella interrompit son grand tour italien pour se rendre précipitamment à Venise. Peu après son retour, le couple Albrizzi se transféra à la campagne.
Dans sa maison de campagne, la vie se déroulait sereinement : Isabella avait fait construire un petit théâtre où elle interprétait avec son ami Louis François Benoiston de Châteauneuf, les meilleures tragédies de Voltaire.
En octobre elle eut pour hôte Foscolo dans sa maison de campagne. Mais après quelques mois, peut-être à cause du mariage d’Isabella il décida d’éviter toute occasion de contacts avec elle. Peu après il aurait commencé de rédiger les Ultime lettere di Jacopo Ortis.
Dans la Venise enivrée par le dernier Carnaval éphémère, Isabella pouvant compter sur de plus larges disponibilités financières, rouvrit son salon qui apparaissait parmi les plus illustres d’Italie, entre la Calle Cicogna et La Calle lunga di San Moisé.
Lord Byron, qui le fréquenta durant ses séjours dans la lagune, tirera de ces réunions mondaines, des connaissances détaillées sur les affaires et les habitudes des salons vénitiens et les transposera ensuite dans son poème satirique : « Beppo, a Venetian Story ».
La fin de la République était désormais proche : le 16 mai 1797, après abdication du Maggior Consiglio (Le Conseil Suprême) les troupes françaises défilèrent sur la place Saint-Marc.
Bien qu’amie de nombreux partisans des idées révolutionnaires et des hommes liés au gouvernement de la République Française , et ouvertement proche de la culture transalpine, Isabella suivit les événements dans le plus grand silence.
A seulement trente kilomètres de la capitale, la vie dans sa villa se déroula sereinement.
Ce fut précisément là qu’elle rouvrit son salon, interpréta des œuvres françaises, organisa des bals, et des cavalcades dans les allées ombragées. Grâce à l’intervention de Denon, les possessions de Iseppo restèrent intactes même après le passage sous domination autrichienne. Ce ne fut pas le cas pour d’autres familles de renommée tels les Bragadin, les Giustinian, les Pisan Santo Stefano, les Marin, les Tiepolo.
- Second voyage
Après la signature du Traité de Campoformio, la situation de Venise sembla se stabiliser ; n’ayant rien à craindre du nouveau gouvernement des Habsbourg, Iseppo et Isabella décidèrent dans l’été d’entreprendre un nouveau voyage le long de la péninsule.
Arrivée à Florence Isabella s’immergea dans l’art et l’histoire. Elle fut particulièrement fascinée par le Gabinetto Fisico (Cabinet de physique) et par la Galleria degli Uffizi (le Musée des Offices).
Ce fut précisément dans la capitale toscane que Isabella saisit l’opportunité, dans un des salons, de présenter son premier essai littéraire officiel, la Risposta della Signora Teotochi Albrizzi all’abate Stefano Arteaga (Réponse de Madame Teotochi Albrizzi à l’abbé Stefano Arteaga). En juin 1799 le Lettere devaient déjà largement circuler : l’opinion d’Isabella outrepassait désormais le cercle du salon.
Les événements politiques rendirent impossible la poursuite du voyage en direction de Rome; déjà en février 1798 l’armée napoléonienne était entrée dans Rome et y avait favorisé l’instauration d’une République. Quelques temps plus tard, ce fut le tour du Royaume de Naples.
Le 4 octobre 1798 les époux Albrizzi regagnèrent Venise et y arrivèrent à la fin du mois.
- Maturité
Ce fut durant l’hiver de cette même année qu’Isabella fut enceinte d’Iseppo Albrizzi. Ses amis la décriront comme splendide, telle la beauté maternelle de la déesse Déméter.
Giovanni Battista Giuseppe naquit le 26 août à Padoue au palais Albrizzi. Il fut surnommé par Foscolo « Pippi ». L’année suivante « il nobile putello » (putello : enfant en vénitien) sera le premier, à Venise, à être vacciné contre la variole.
Isabella continua toutefois d’animer son splendide salon. D’illustres personnalités le fréquentèrent. Ainsi parmi eux citons le prince Oscar, futur roi de Suède, le prince Hohenzollern, Charles Louis de Bourbon duc de Lucques, le prince héritier de Bavière Johann Simon Karl Morgenstern, professeur de littérature grecque et bibliothécaire à l’Université de Tartu (Slovénie), Johan David Åkerblad, antiquaire et polyglotte suédois l’historien dalmate Vincenzo Drago, le marquis de Maisonfort, intime de Louis XVIII de France et le baron d'Hancarville, élégant aventurier, dit le Casanova des conversations.
Ce fut durant cette période que l’amitié entre Isabella et le Conte Tommaso Mocenigo Soranzo, amitié remontant à l’époque du premier salon dans la Calle delle Balotte, se transforma en rapport amoureux.
- La mort de Albrizzi et les rapports avec Soranzo
Durant l’été 1810, Iseppo Albrizzi tomba malade et la famille commença à connaître des difficultés financières. Ce fut Soranzo qui intervint auprès de sa bien-aimée. Leur rapport devint toujours plus intime. `
En 1812, Iseppo Albrizzi malade depuis longtemps, s’éteignit. Quelques mois plus tard, l’oncle Antonio Teotochi, hôte des Albrizzi mourut également à Padoue. « Bettina » se retrouva à nouveau seule, libre, mais sans aucun soutien : ses préoccupations pour l’avenir de son fils la tourmentèrent de manière pressante. Il semble certain que durant cette même période Isabella dût compter sur l’appui de Soranzo, « tuteur de fait sinon de nom de Pippi » ; il avait mis ses propres finances à la disposition de la famille de son amie avant même le décès d’Albrizzi.
Elle passa de moins en moins de temps dans sa tant aimée villa de Terraglio et se réfugia dans son palais de Padoue. Elle informa Denon de son souhait de le rejoindre à Paris.
Au printemps 1817, Isabella reçut la visite du poète William Stewart Rose, auteur, entre autres d’une traduction de l’Orlando Furioso et retrouva Lord Byron qui la définira comme la « Staël vénitienne ».
16.Voyage à Paris
En mai 1817, Isabella d’Albrizzi décida d’entreprendre un long voyage en direction de Paris. Sa motivation fut son désir de visiter la capitale de la culture et de l’élégance, de voir de ses propres yeux l’immense collection du Louvre; mais elle voulait également faire connaître à son fils une autre réalité et bien sûr revoir son vieil ami.
Elle demeura cinq mois dans la capitale française, et fut domiciliée à l'Hôtel des deux Sicile, rue Richelieu.
« L’instant où je revis mes amis fut le plus délicieux de ma vie, un vrai prodige à mes yeux. »
Elle ne réussit cependant pas à rendre hommage à Madame de Staël qu’elle connaissait déjà pour l’avoir accueillie à Venise avec la plus grande hospitalité ; à son arrivée la noble dame était en effet sur le point de rendre l’âme. Elle se lia toutefois avec Madame de Genlis, maîtresse du duc de Chartres, amie de Jean Jacques Rousseau et de Talleyrand, le biologiste Georges Cuvier, Alexander von Humboldt, explorateur, biologiste et botaniste allemand, l’éminent helléniste Adamantios Korais et François-Joseph Talma, auteur qui révolutionna le théâtre français.
17.Déclin et mort
Sa réputation continua à faire accourir à son salon de nombreuses personnalités. En 1821 elle reçut la visite du Vicomte François René de Chateaubriand, considéré comme le fondateur du Romantisme littéraire français, le Comte polonais Franz Anton von Kolowrat-Liebsteinsky, le duc de Raguse Auguste Marmont, le poète Luigi Carrer, Tommaso Locatelli, critique d'art.
De juillet à septembre elle se rendit à Florence et à Pise. À cette époque sa vie fut constellée de brefs voyages, comme celui à Vérone, au cours duquel à l’automne 1822 on fêta la présence des souverains d’Autriche.
Elle continua par ailleurs d’entretenir une étroite correspondance avec Foscolo et ne manqua pas de sollicitude et d’attention, même durant l’illustre misère de Edward Square Kensington.
C’est également durant cette époque qu’elle rédigea son testament, ses deux fils furent ses héritiers ainsi que « son excellent ami le Conte Tomà Mocenigo Soranzo ». Leur relation passionnée s’était transformée depuis un certain temps en des démonstrations de paisible amitié. En 1827, Soranzo épousera alors qu’il était déjà sexagénaire Rachele Londonio. La « sage Isabella » tempérera ses ardeurs et poursuivra ses échanges épistolaires.
D’autres événements malheureux touchèrent encore Isabella: en 1827, son ami Foscolo mourut, l’année suivante ce fut Pindemonte.
En 1829 Giacomo Leopardi, considérant la Comtesse comme un des auteurs italiens dignes d’être cités, lui attribua une reconnaissance indubitable.
Walter Scott fut en 1832, parmi les derniers grands personnages à honorer Isabella.
En juin 1835, commença pour la Dame Albrizzi un triste déclin physique et moral.
La fermeture du salon fut suivie de la visite de l’Archiduchesse Élisabeth d’Autriche, venue tout exprès à Venise pour rendre hommage à Isabella d’Albrizzi peu avant sa mort, survenue le 27 septembre 1836.
La petite église delle Grazie, située dans les environs de la villa Albrizzi, accueillit les cendres de la Comtesse.