Point de lendemain
Point de lendemain -texte complet
Les premières aventures amoureuses d'un jeune homme ignorant tout des subtilités du monde aristocratique sont ici racontées. Quand il se rend à l'Opéra, il n'y arrive pas en retard comme il se doit, croyant ingénument y aller pour assister à une représentation, quand personne n'y vient que pour observer, s'informer des nouvelles, entreprendre quelque discussion dans le monde : certainement pas pour assister à la représentation mais pour voir une autre sorte de spectacle. S'étonnant de tout, le narrateur (qui endosse le personnage du héros) est manipulé par la comtesse de ..., bien plus au fait que lui du code implicite du libertinage, et influencée par tout ce qui l'entoure : décors ou ameublement érotiques et luxuriants, ambiance d'alcôve, jardins à l'écart et pièces secrètes.
En effet tout au long de ce récit les personnages ont des rôles bien définis par Mme de T... C'est une femme qui sait manipuler parfaitement les hommes et obtenir d'eux ce qu'elle désire. Le narrateur, si naïf qu'il soit, subit un changement à la fin du conte. Après sa délicieuse nuit avec Mme de T..., il apprend qu'il n'était qu'un leurre, qu'il n'a été invité chez M. de T... que pour faire croire qu'il était l'amant de sa femme. Le marquis, l'amant "officiel" de Mme de T... le remercie donc de son dévouement à faire croire cela : il va pouvoir être bien reçu chez le mari de son amante. Le marquis est persuadé de la fidélité de sa maîtresse. S'ensuit un moment extrêmement ironique, puisque le narrateur sait bien que ce n'est qu'un mensonge. Les rôles sont donc redistribués. Cela illustre bien évidemment la maîtrise de Mme de T... sur les hommes : grâce à elle, personne ne perd la face. Elle garde son semblant de "décence" et aucun des trois hommes n'est humilié. Le mari est heureux de persifler le faux amant, le marquis se satisfait d'être si bien reçu chez le mari de sa maîtresse, et le jeune narrateur, enchanté de sa nuit avec Mme de T. Cette dernière est la grande gagnante de ce petit jeu libertin : en plus d'une nuit d'amour avec un jeune homme, elle est certaine que le narrateur ne dévoilera à personne l’infidélité faite au marquis, puisque le narrateur est lui-même coupable d'infidélité à l'égard de sa maîtresse, la comtesse de...
Les différentes versions de Point de lendemain
Vouloir présenter simplement ce court texte tient de la gageure car il faut tenir compte des deux états du texte : la version de 1777 et celle de 1812, sans oublier l’amplification assez érotique – selon l’usage du temps – qui a de fortes chances d’être de Vivant Denon. Nous avons pris le parti de présenter la version initiale puis de proposer les différences qui existent entre cette version et celle de 1812, enfin de voir les autres états du texte. Pour toutes ces versions, l’édition de référence du texte est, et de très loin, l’édition de Michel Delon (Folio classique, 1995) qui donne les deux textes et leurs différences en notes.
Nous présentons les versions par scènes pour plus de commodités dans l’exposé des variantes; il est entendu que ce découpage n’est pas de Vivant Denon.
POINT DE LENDEMAIN (Version de 1777)
Scène 1 Damon, jeune homme de 25 ans, est l’amant de la Comtesse de T***, elle-même amie de Mme de T***. Cette dernière, lors d’une soirée à l’opéra invite Damon, seul, à la suivre. Celui-ci se plie à ses désirs ?
Scène 2 Dès la fin du premier acte, ils partent en carrosse pour une destination inconnue, en fait chez son mari. Lors du voyage, une scène délicate, les conduit dans les bras l’un de l’autre.
Scène 3 En arrivant chez son mari, ils sont invités à manger par ce dernier qui ne cache pas son amertume signalant qu’une chambre dont parle sa femme a été changée depuis cinq ans et lui signalant qu’il a changé de régime alimentaire depuis trois ans, ce qui donne une idée précise du peu de relations que Mme de T*** entretient avec son époux.
Scène 4 Le mari préférant aller se coucher, Damon est invité à une promenade dans le parc à terrasses qui donne sur la Seine. Ils s’arrêtent sur un banc de gazon et l’échange de baisers attendus a enfin lieu. Sur le chemin du retour, Mme de T*** profite de l’occasion pour dresser un portrait peu flatteur de la Comtesse qui se sépare souvent d’un homme en en aimant un autre. Damon ne semble pas voir le jeu de Mme de T*** et dans cette heure entre chien et loup, lui trouve de grands charmes.
Scène 5 Conduit à proximité d’un petit pavillon près du fleuve, que l’on croit fermé, Damon entre dans ce sanctuaire de l’amour avec sa nouvelle prêtresse ou initiatrice, de baisers en caresses, la femme enfin cède.
Scène 6 De retour par le banc de gazon, il s’établit un jeu sur l’assurance d’obtenir de nouveaux bonheurs mais pas sans quelques gages. Mme de T*** révèle l’existence d’une pièce secrète au cœur du château, mais comme elle n’est pas revenue là depuis huit ans, date de son mariage, elle ne sait pas l’état de ce cabinet et demande un délai afin de préparer le lieu avec une servante complice. Damon pris par le désir de cette femme et l’attrait de la nouveauté s’apprête à entrer dans ce lieu secret sur l’ air d’une initiation.
Scène 7 Le lieu décrit semble hors du temps et de l’espace : le décor y est à l’imitation d’une nature idyllique, avec un tapis de gazon, des statues, des fleurs, des parfums et bien entendu un nid de coussins faisant office de lit, avec un baldaquin. Damon s’enflamme et suit Mme de T*** dans ce lieu présidé par un dieu Amour qui est devenu, par artifice, Pan.
Scène 8 Le jour venant, une servante confidente vient les prévenir et Damon plutôt que de monter dans sa chambre préfère aller se promener dans le parc. Pensant à l’ami en titre de Mme de T***, le Marquis de ***, et se demandant si elle l’aime, il le croise au cours de son tour. Ce dernier lui révèle qu’il faisait partie d’un plan visant à berner son mari, et que ce plan semble avoir réussi, puisque le mari soupçonnera dès lors Damon d’être l’"écuyer" de sa femme.
Scène 9 De cette bonne aventure, ils rient mais pas pour les mêmes raisons; de retour dans le château, un domestique manque de trahir Damon, mais le Marquis tout à la joie de la réussite du stratagème ne se rend même pas compte que Damon n’a pas passé la nuit dans sa chambre.
Scène 10 La comédie se poursuit chez Monsieur qui prend plaisir à congédier poliment Damon et à accueillir le Marquis. L’arrivée de Madame n’est pas gâchée par Damon qui prend garde de se taire face à cette femme qui vient de se jouer des trois hommes et qui s’en va en ne trouvant pas de morale à tout cela.
POINT DE LENDEMAIN (Version de 1812)
Nous ne faisons apparaître dans cette version que les modifications intervenues entre la version précédente et celle-ci. Il est juste de signaler que c’est cette version qui fut le plus souvent reproduite jusqu’à ce jour.
Scène 1 Le jeune homme qui n’est pas nommé a 20 ans, il est ingénu et initié par la Comtesse de T***, elle-même amie de Mme de T***.
Scène 2 Il semble que Mme de T*** ait l’intention de se "raccommoder" avec son mari. Dans le carrosse, ils ne se touchent que les mains.
Scène 3 & 4 Peu de modifications.
Scène 5 Les réflexions sur l’amour, la fidélité, le désir, l’attirance agite les pensées du jeune homme qui suit la femme. qui le conduit à un petit pavillon. Les propos sont plus acidulés lors des échanges d’avis, notamment sur la Comtesse. On arrive aussi au petit pavillon.
Scène 6 On rejoint aussi le petit cabinet qui est présidé uniquement par le dieu du mystère, Amour.
Scène 7 L’union y est décrite avec plus de retenue encore.
Scène 8, 9 & 10 De très légères modifications mais toujours pas de morale à tout cela.
Un avatar érotique : La Nuit merveilleuse ou le Nec plus ultra du plaisir, texte paru à la fin du XVIIIe siècle, certainement sous le Directoire, et qui sans être attribuable avec une certitude absolue à Vivant Denon, a toutes les chances d’être une version adaptée au goût Directoire par l’auteur lui-même, surtout lorsque l’on examine les modifications.
LA NUIT MERVEILLEUSE
Scène 1 Damon devient Verseuil et Mme de T*** devient de Terville, c'est une démarque par rapport à la première version qui fait un clin d’oeil aux Liaisons dangereuses avec Mesdames de Merteuil et de Tourville liées à Valmont. Ici ce n’est qu’un jeu sur l’idéal petit-maître qui court la littérature de la fin du XVIIIe siècle de Crébillon à Choderlos de Laclos.
Scène 2 Lors du voyage, on en arrive de suite au baiser, complété d’une caresse.
Scène 3 Verseuil s’impatiente de désirs.
Scène 4 Arrivés au banc de gazon, c’est plus qu’un baiser qui s’accorde, on glisse vers une gorge qui se dénude, et la promesse d’une suite agréable.
Scène 5 Au pavillon, l’union est décrite avec plus de soins de ses préliminaires jusqu’à l’extase attendue et Mme de Terville s’y révèle une amoureuse aussi exigeante que prodigue en jeux amoureux.
Scène 6 & 7 De retour au château, on passe ensuite à une description du désir puis du plaisir des deux amants.
Scène 8 Le jour venant, la jolie servante, Mlle Rosalie, vient prévenir les deux amants, et après le départ de sa maîtresse, comble à son tour les désirs encore puissants de Verseuil.
Scène 9 & 10 Sans modifications significatives.
Les descriptions obéissent au genre des textes érotiques de l’époque, on n' est guère loin de textes érotiques de Mirabeau par exemple.
Il existe encore deux autres versions issues du texte de 1812 : un abrégé paru dans le Sylphe, en décembre 1829 pour contrecarrer La Physiologie du mariage de Balzac qui paraissait en même temps en y intégrant ce texte sans en révéler l’auteur. Ces deux versions présentent un moindre intérêt, si ce n’est pour les Balzaciens : la version abrégée du Sylphe est telle qu’il ne reste qu’à peine la moitié du conte, et très édulcorée; la version de Balzac est assagie et corrigée sans en voir toujours les raisons, mais il est juste de dire que ce texte est intégré à l’œuvre avec la volonté de montrer tout ce dont est capable une femme qui n’est pas soumise à son mari!
Pour toutes ces versions et pour toute information complémentaire nous vous renvoyons au Colloque Vivant Denon consacré à son œuvre littéraire et à la très claire édition de Michel Delon.