Les collections du musée Napoléon sous Denon

Lors de la création du Musée de Arts en 1793, le Louvre bénéficiait d’un fond muséal déjà significatif constitué par des œuvres prélevées dans les résidences royales. Ce fond s’est rapidement accru grâce aux prélèvements effectués par ses armées révolutionnaires en Flandre, Pays-Bas et Italie. La période napoléonienne n’a fait que poursuivre et amplifier ce mouvement, à tel point que certaines œuvres ont été réparties dans des musées de province et de tout l’Empire.
Ce chapitre donne un aperçu de ce qu’était le Louvre jusqu’en 1814, dont la nomenclature est détaillée dans l’ouvrage Galerie du Musée Napoléon de Antoine-Michel Filhol, Armand-Charles Caraffe et Joseph et Louis-Antoine Lavallée.
La publication des notices du musée Napoléon
Comment permettre au visiteur de se repérer dans un musée Napoléon dont les salles d'exposition ne cessent de s'étendre tandis que les collections s'enrichissent au fur et à mesure de l'avancée des armées impériales? Dès ses premières années, le Muséum s'était fait un devoir de publier des «notices•, dont l'usage était indispensable à la plupart des visiteurs, les œuvres étant présentées sous un simple numéro, sans titre ou nom d'artiste.
Grâce à ce numéro, l'amateur pouvait se reporter au livret qui lui permettait d’identifier les œuvres exposées. Ce livret, conçu comme un instrument de repérage de dimensions modestes, se distinguait nettement des publications d'envergure comme les Annales du Musée éditées par Landon en plusieurs volumes in-octavo parus par livraison, qui donnaient une notice développée accompagnée d'une gravure au trait en pleine page et plus encore des publications de luxe comme les somptueux in-folio du Musée français édités par Pérouville et Laurent, aux gravures de grande qualité. En revanche, la Notice présentait l'ensemble des œuvres exposées, plus précise en cela que les guides topographiques qui recensaient toutes les richesses parisiennes susceptibles de retenir l’attention du curieux.
Description du corpus
En 1802, lors de la nomination de Denon, trois notices couvrent l'ensemble des collections, l'une étant consacrée aux antiques, une autre aux tableaux, el la troisième aux dessins. Ces notices ont connu des rééditions afin de prendre en compte l'accroissement des collections et ont été complétées par de nouveaux titres pour les salles ouvertes pendant la période. On notera que ces notices n'ont été publiées qu'en français.
Pour les antiques, le visiteur disposait de la Notice des Statues, Bustes et Bas-reliefs de la Galerie des Antiques du Musée Napoléon, rédigée en 1800 par Ennius Quirinus Visconti avec la collaboration de Léon Dufourny, qui fit l'objet de nombreuses rééditions et de retirages. Elle offrait des informations plus abondantes que pour les tableaux : on pouvait y trouver de courtes explications sur· les personnages et les scènes représentés, des indications de provenance qui mettaient en évidence la fierté tirée de la détention de ces trophées, et dans plusieurs cas même une présentation des restaurations effectuées. Cette notice fut complétée en 1804 par un Supplément consacré à la salle des Fleuves, nouvellement ouverte, Supplément étendu en 1815 aux salles du Silène, du Gladiateur et des Muses.
- La notice relative aux tableaux était organisée par écoles (française, flamande et italienne), et, pour chaque école, par ordre alphabétique d'artistes. Les accroissements de la collection amenèrent la publication en 1804 d'un Supplément à la Notice des tableaux des trois écoles exposés dans la Grande Galerie du musée Napoléon.
Ces deux publications furent réunies à partir de 1810 en une seule brochure intitulée Notice des tableaux exposés au musée Napoléon, petit volume in-douze de 62 pages signalant 1233 tableaux et qui fit l'objet presque chaque année d'un retirage ou d'une réédition.
Le parti choisi était celui de notices très brèves indiquant le nom de l'artiste, ses dates de vie et de mort, le titre de l'œuvre accompagné éventuellement d'une courte description et, dans quelques cas, un choix d'autres indications d’identifications alternatives.
- La Notice des dessins originaux·, cartons, gouaches, pastels, émaux er miniatures, parue pour la première fois en 1797, fit l'objet d'un retirage publié en l'an XII en format in-douze et comprenant 124 pages et 531 numéros.
Rédaction, fabrication, diffusion
La mise au point de chaque Notice semble avoir été assurée par Lavallée, secrétaire du musée, aidé en cela par le premier commis, Debusne et, pour les dessins, par Morel d’Arleux. La fabrication était confiée pour l'essentiel à l'imprimeur Dubray, dont l'atelier, d'abord appelé Imprimerie des Sciences el des Arts, se trouvait rue Ventadour, non loin donc du Louvre. Pour Dubray, qui fait parfois à partir de 1807 suivre son nom de la mention imprimeur du musée Napoléon, la clientèle d'une institution publique offrait une source de revenus sûrs et relativement réguliers.
Il conservait les formes typographiques qui servaient à la composition des livrets, ce qui lui permettait de faire aisément les rééditions et retirages nécessaires après avoir inséré éventuellement les quelques corrections ou ajouts demandés. Il assurait l’ensemble de la fabrication, de l'achat du papier au brochage. Il connaissait bien ses interlocuteurs du musée puisque leur collaboration s'étendit sur plus de dix ans et qu'au-delà des seules notices il imprimait également les livrets du Salon, publiés à vingt mille exemplaires environ tous les deux ans, ainsi que ceux des expositions ponctuelles comme, en 1805, celle des tableaux provenant de Parme et de Venise ou, en 1814, celle de la très importante exposition consacrée aux primitifs allemands et italiens. Le Catalogue des Estampes était en revanche publié par la Chalcographie elle-même.
La vente des notices était assurée au musée par les femmes des gardiens, qui trouvaient là un petit complément de ressources financières de l'ordre d' une dizaine de francs par mois. Le prix de vente était volontairement faible, de 50 centimes pour les suppléments à 1,50 franc pour la Notice des tableaux, mais les comptes méticuleusement tenus par Fosse, le gardien économe, montrent que le musée en tirait des bénéfices cependant appréciables. La publication la plus rentable était la notice des tableaux dont les tirages élevés permettaient un bon amortissement des frais fixes. En 1810, la vente de 9000 exemplaires à 1,50 franc avait généré un chiffre d'affaires d'environ 14000 francs, qui, diminué de 3150 francs de frais de fabrication et de 850 Francs pour la rétribution des vendeuses (toutes notices confondues), laissa un bénéfice de 10000 francs.
Pour cette même année, on peut estimer que les trois mille notices des antiques, vendues au prix de un franc, ont rapporté au musée environ 1000 francs.
Les recettes de la vente des notices, des brochures publiées à l'occasion des expositions ponctuelles et des livrets de Salons constituaient des ressources propres du musée, tout comme celle de la vente des estampes et des plâtres. De l'ensemble de ces produits le musée tirait 30 à 35000 francs chaque année. Le tiers environ de cette somme servait à financer l'impression des gravures et des livrets ; le musée disposait des deux tiers restants, d'une part pour faire des avances aux artistes dans le besoin, d'autre part pour proposer de graver de nouvelles planches pour la Chalcographie et enfin pour faire face à des dépenses urgentes et non prévues par le budget.
Article de Isabelle Le Masne de Clermont dans l'Oeil de Napoléon p 160-161