La collection de Denon

Denon collectionneur

Son besoin compulsif d’accumuler des objets d’Art se manifeste très tôt, surtout pour les tableaux, qu’il achète et dont il fait commerce. Il tient certainement ce goût de son milieu familial, son père ayant décoré sa demeure de tableaux d’après Boucher. Son protecteur Jean-Benjamin de Laborde l’a introduit dans un cercle de collectionneurs dont il adopte les pratiques. Ce goût, combiné avec ses talents de dessinateur et de graveur se manifeste particulièrement lors de son séjour à Venise de 1788 à 1793.

Il acquiert en 1791 la collection d’estampes de la famille Zanetti, riche banquier vénitien, comprenant entre autres une collection de Rembrandt, de Marcantonio Raimo, de Georg Pencz, élève de Dürer et des copies de maîtres vénitiens. Lors de l’acquisition, il commence à acheter 60 estampes de Girolamo Francesco Maria Mazzola (Parmesan) et 40 de Giovanni Francesco Barbieri (le Guerchin) puis laisse réfléchir les héritiers et arrache le reste. Il montre par-là ses talents d’acheteur qui lui seront si utiles à Paris au Louvre.
Lors de son retour en France en 1793, il commence à acheter des toiles, grâce à la restitution de ses biens et revenus grâce à l’intervention de son ami David. Son amie Bettina réussit à lui expédier sa collection Zanetti qui était restée à Venise en 1796.

C’est à cette époque qu’il devient actif dans l’achat de tableaux et estampes qui lui permettent d’accroître ses revenus, très affectés par les dévaluations des assignats. Cette activité reprend de façon plus intense dès son retour d’Égypte, aidée par les revenus de la vente du «Voyage en basse et haute Égypte.» En 1802, sa nomination comme Directeur général des Musées avec tous les ressources associées ne font qu’amplifier le phénomène. C’est pendant cette période faste qu’il constituera sa collection personnelle, qu’il enrichira jusqu’à sa mort après l’arrêt de ses activités au Musée.

Ses héritiers confieront ses estampes à Amaury Duval, qui en publiera une somme en 1829, «Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes», recueillis par le Baron Vivant Denon

Denon et son cabinet

Sous la Restauration, la collection d’œuvres d’art de Vivant Denon est l’une des plus célèbres de Paris. On se presse Quai Voltaire pour la visiter sous la conduite du maître des lieux. Les murs sont couverts d’un ensemble de tableaux de toutes sortes qui voisinent avec des objets rapportés de Haute Egypte, de Chine et de la péninsule italienne. Retiré du Louvre, Denon tient à son statut d’artiste, en témoignent ses nombreux dessins, dont un certain nombre d’autoportraits. Il agrémente sa « visite guidée » par des anecdotes tirées de ses nombreux voyages. Grand collectionneur, Denon avait aussi rassemblé des objets qu’on peut classer dans la catégorie des Arts Premiers océaniens et amérindiens, ce qui fait de lui un précurseur. Et même après sa dispersion, après la mort de Vivant Denon, la renommée de cette collection continua à alimenter l’imaginaire des amateurs d’art.

Denon fit aussi l’objet de critiques qui le qualifièrent d’« aigle rapace » ! Depuis son séjour à Venise, il faisait preuve d’une véritable boulimie d’achats, mais aussi d’un souci de vendre les objets achetés plus cher qu’il ne les avait payés. De nombreux témoignages insinuent une absence totale de scrupules de la part du Directeur des Musées qui, suivant les armées impériales, choisissait dans chaque ville conquise les plus belles œuvres susceptibles d’augmenter les collections du Louvre, mais aussi ses propres collections.

Les artistes contemporains qui lui proposaient des œuvres originales n’étaient pas toujours les bienvenus, et beaucoup d’offres furent refusées, soit en raison de la médiocrité de l’œuvre, soit parce que l’artiste manquait de notoriété.

Après sa démission de la Direction des Musées, il fréquenta l’Institut et se montra souvent aux ventes publiques ; c’est lors de la dernière de celles-ci, fin avril 1825, qu’il aurait attrapé un refroidissement qui lui fut fatal et l’emporta deux jours plus tard..

Archéologue, antiquaire, expert, marchand, courtier, Denon se piquait-il aussi d’être reconnu comme l’un des grands savants qu’il fréquentait ? Les contacts qu’il chercha à établir avec von Humboldt, Bernouilli et de Volney le laissent entendre. Mais les textes qu’il écrivit à la fin de sa vie n’en font pas un théoricien. Par contre, l’ouvrage auquel il se consacra alors est de la plus haute importance ; son but : donner une Histoire des Arts à partir de sa seule collection et fournir des motifs instructifs aux artistes en la diffusant sous forme de gravure. Denon n’aura pas le temps de mener ce travail à bien, sa publication après sa mort doit pratiquement tout à la plume d’Amaury Duval, qui avait travaillé avec Denon, et affirmait qu’il avait respecté l’esprit dans lequel Denon lui-même envisageait cette œuvre.

Collectionneur insatiable, il faisait preuve d’une grande liberté de goût et d’un caractère qui ne pouvait se contraindre à faire des choix. Inquiet (ou soucieux ?) de sa propre image, autant que de la trace qu’il voulait laisser, Vivant Denon savait cultiver sa fantaisie et charmer par sa gaieté.

D'après Marie-Anne Dupuy-Vachey "catalogue de l'exposition "L'oeil de Napoléon"

Voir également l'étude de Marie-Anne Dupuy-Vachet "De Maria Cosway à William Beckford: regards d'outre-Manche sur la collection de Vivant Denon."

Description de son appartement

Il est un endroit très original et très couru à Paris dans le premier quart du XIXème siècle, le dernier lieu de vie de Vivant Denon (5, quai Voltaire).

En effet, l’appartement de six pièces est entièrement occupé par des œuvres d’art, y compris le palier et la terrasse. Cette abondance éclectique d’objets ne répond à aucun ordre chronologique ou géographique, évoquant ainsi un cabinet de curiosités.

On y trouve des statues en bronze, des bustes en plâtre, des tableaux fort disparates (Shedone, Poussin, Rigaud, Véronèse, Le Nain, David, Watteau, Rubens, Le Caravage…), des bas-reliefs, des vases, des porcelaines et laques chinoises, 500 amulettes et scarabées, des objets orientaux, des instruments de musiques mais aussi des girouettes (également collectionnées par Chateaubriand et Talleyrand), des momies, un fœtus, un bras humain…

Il est intéressant de noter qu’il est représenté au moins une fois dans chacune des pièces et ce, malgré sa « laideur » décrite par Elisabeth Vigée-Lebrun. Cela ne l’a pas empêché d’être un grand séducteur sentimental comme en témoigne le portrait d’Isabelle Albrizzi de la même peintre.

Ce lieu était ouvert au public (choisi parmi ses visiteurs) et il faisait lui-même la visite en l’agrémentant d’une foule d’anecdotes sur chaque œuvre. Ces visiteurs, souvent anglais (Lady Morgan) retranscrivaient ses paroles où il prenait des libertés avec la réalité, qui ont contribué à sa légende. Les témoignages de son urbanité abondent, ne semblant n’affecter aucune rancœur sur l’abandon de sa charge au Louvre. Goethe et Alexander von Humboldt ont apprécié ces visites tout en moquant le fouillis de sa collection..

Denon, plus curieux qu’homme de goût, vouait un véritable culte à l’Art. il était animé d’une passion pédagogique qu’il avait déjà manifestée au Louvre. Avant-gardiste, bouleversant la tradition, il estime qu’une œuvre d’Art et surtout un témoignage d’une civilisation, d’un savoir-faire, indépendamment de toute considération esthétique et que l’art nait de l’industrie sauvage : on passe d’un objet de première nécessité à un objet esthétique. IL n’a pas rédigé d’ouvrage théorique, mais il avait l’ambition de composer un ouvrage sur l’histoire générale des Arts dans toutes les civilisations, dont sa collection serait un aperçu et qui fournirait des modèles aux artistes. Sa disparition l’empêchera de concrétiser ce projet et Amaury-Duval, son amis le fera à titre posthume.

Cette impressionnante collection ne doit pas cacher les moyens parfois contestables qu’il utilise pour la constituer. Cette accumulation d’une vie est le fruit d’achats, de spéculations, d’échanges, mais aussi de rapines sur tous les sites qu’il a visités. Les soldats de Napoléon l’avaient surnommé « huissier-priseur ». Le caractère fétichiste de ce comportement de collectionneur a été découvert par ses héritiers lors de la dispersion de sa collection après sa mort, avec cet étrange reliquaire dont le contenant surprenant est décrit dans un article spécifique.

Catalogue de la collection

Nous connaissons l'inventaire de cette collection assemblée au Quai Voltaire, par le catalogue qui figure dans le livre d'Amaury Duval, résultat de la vente de cette collection par son héritier, son neveu Brunet-Denon. (voir lien de téléchargement dans la rubrique "les ouvrages sur Vivant Denon", "ouvrages sur l'oeuvre muséale")

Le reliquaire de Denon

Le reliquaire de Denon

Parmi les objets de sa collection, il en est un qui sort du lot, et qui en dit long sur notre ami. Un objet dont le contenu est à la fois monstrueux et extraordinairement romanesque.

En voici la description officielle de la vente de 1826 qui disperse ses biens après sa mort :

« Reliquaire de forme hexagonale et de travail gothique, flanqué à ses angles de six tourillons attachés par des arcs-boutants à un couronnement composé d'un petit édifice surmonté de la croix : les deux faces principales de ce reliquaire sont divisées chacune en six compartiments, et contiennent les objets suivants :

 

  • Fragments d'os du Cid et de Chimène trouvés dans leur sépulture, à Burgos.
  • Fragments d'os d'Héloïse et d'Abélard, extraits de leurs tombeaux, au Paraclet.
  • Cheveux d'Agnès Sorel, inhumée à Loches, et d'Inès de Castro, à Alcobaça.
  • Partie de la moustache de Henri IV, roi de France, qui avait été trouvée toute entière lors de l'exhumation des corps des rois à Saint-Denis, en 1793.
  • Fragment du linceul de Turenne.
  • Fragments d'os de Molière et de La Fontaine .
  • Cheveux du général Desaix. »

(Il faudra ajouter un fragment d'une dent de Voltaire figurant sous un autre numéro d'inventaire, et  intégré par la suite au reliquaire)

Deux des faces latérales du même objet sont remplies :

  • L'une par la signature autographe de Napoléon.
  • L'autre par un morceau ensanglanté de la chemise qu'il portait au moment de sa mort, une mèche de ses cheveux et une feuille du saule sous lequel il repose dans l'île de Sainte-Hélène.

Ceci témoigne d'une sorte de culte personnel. On y consacre une certaine conception de la gloire, de la grandeur, voire du tragique. Mais Denon a vécu une existence suffisamment aventureuse et exaltante pour être digne de le regarder en face, sans avoir à baisser les yeux.

Extrait de l'article  Le Reliquaire de l'Aimable Monsieur Denon - Castalie

Ce reliquaire est aujourd'hui visible dans l'une des salles du musée Bertrand de Châteauroux

Les visiteurs de la collection de Denon au Quai Voltaire

Alexander von Humboldt

Duc de Blacas

Comte Orloff

Comte de Forbin

Baron Larrey

Les Champollion (a partir de 1821)